Mathurin Méheut, sa vision du monde végétal.

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Alain Le Hérissé, ancien chercheur au CNRS, géologue, amateur d’art et de botanique nous présente Mathurin Méheut et sa vision du monde végétal :

 

Mathurin Méheut (1882-1958) est encore certainement aujourd’hui le plus populaire des artistes bretons. Si dans l’œuvre qu’il nous a laissée, la mer et la Bretagne apparaissent comme des sujets de prédilection, il a aussi beaucoup peint et dessiné la nature, faune et flore confondues, et ceci depuis le début de sa carrière. Sa vision du monde végétal, sujet de la conférence, est un angle de vue de son œuvre sans doute un peu moins connu. Pourtant il l’a abordé dans de nombreux ouvrages, nous en laissant de merveilleuses illustrations.

Après avoir passé 4 ans aux Beaux Arts de Rennes, où il en sort diplômé, Il poursuit ses études à Paris en s’inscrivant en 1902 à l’Ecole des Arts Décoratifs et en parallèle à l’école Guérin une école d’apprentissage du dessin.

Cette année là, il obtient le 1er prix d’un concours de la revue Art et Décoration, pour une illustration du lys commun et du lys du Japon. C’est la première planche botanique produite par Mathurin Méheut. Avec ce prix il devient collaborateur de la revue. Il côtoie à cette époque deux personnages importants pour sa carrière, Eugène Grasset, son professeur de dessin et de composition décorative, dont il suit les préceptes, et Maurice Pillard Verneuil, artiste peintre, décorateur de l’Art nouveau et critique d’art français, qui va le faire travailler.

On est en pleine période Art Nouveau (1890-1914) et la première revendication de ce mouvement artistique est une compréhension de la nature en général et du monde végétal en particulier, et cela se voit au niveau de tous les décors et ornements de cette époque. Les artisans et industriels avaient besoin de documents précis sur les plantes pour leurs réalisations. Ce sont les peintres et dessinateurs qui sont chargés de les leur fournir, en stylisant plantes et animaux pour les traduire en motifs ornementaux.

Collaboration à l’Encyclopédie artistique et documentaire de la plante de Maurice Pillard Verneuil (1904-1908).

Mathurin Méheut fournit de nombreuses illustrations dans ce premier ouvrage documentaire, en 4 volumes in folio, qui regroupe 384 planches de dessins, aquarelles et photographies de 100 sujets différents de plantes sauvages, de fleurs, d’arbres et d’algues. Différents artistes collaborent à cet ouvrage dont Alfons Mucha par exemple.

L’encyclopédie propose 3 approches différentes : l’aquarelle pour une vue en couleur de la plante, une ou deux planches de dessins analytiques et une photographie pour un modèle de copie d’après nature. Les objectifs étaient que chaque plante soit largement et complètement étudiée, pour que l’interprétation et l’usage en soient facilités pour les artisans.

Pour les planches botaniques Mathurin Méheut utilise une technique de lavis, c’est à dire que le dessin initial au crayon est monté en contraste par des passages de lavis d’encre diluée à différentes valeurs de gris et avec des rehauts d’encre blanche.

Le choix de certaines plantes de l’encyclopédie, comme l’Anthurium andreanum, montre l’engouement à l’époque pour des plantes nouvellement acclimatées. D’autres exemples d’azalées japonaises ou de camellias, soulignent le travail de création et d’amélioration des variétés par le secteur horticole à cette époque, qui a un effet considérable dans l’accroissement de la palette végétale dans les jardins.

L’œil de Mathurin Méheut est rompu à l’observation de mille détails comme dans le dessin du Groseiller à maqueraux.

groseiller detail

C’est une observation précise, on peut même la qualifier de scientifique, associée à la recherche des techniques adaptées pour la mettre en œuvre . C’est presque une photographie. Il y a un très joli rendu de la peau marbrée des fruits, peau assez épaisse mais transparente. Les bulbes sont illustrés, comme les iris particulièrement appréciés dans le décor Art nouveau, mais aussi les fleurs du jardin, le fuchsia, le pavot coquelicot, l’ancolie, l’anémone de Caen etc. Pour l’ancolie, Mathurin Méheut propose une interprétation et réflexion ornementale avec des modifications au niveau de la feuille.

On découvre dans l’ouvrage, des plantes que l’on ne trouve plus en pépinière comme la primevère de Chine au feuillage découpé. Comme elle pouvait être responsable d’allergies cela a pu contribuer à sa rareté aujourd’hui. Les algues qui sont bien des plantes ne sont pas oubliées avec l’illustration du fucus vésiculeux, que Mathurin Méheut reprend dans L’Étude de la mer : faune et flore de la Manche et de l’océan publié en 1913.

Création textile

C’est encore une utilisation du végétal par Mathurin Méheut et son épouse (entre 1905 et 1913), qui se sont intéressés très tôt aux techniques du filet brodé et du batik, pour une conception de robes et bonnets d’enfant. Plus tard Mathurin Méheut collaborera avec la maison Le Minor, pour du linge de table reprenant des motifs de plantes.

Mathurin Méheut et le japonisme

Comme de nombreux artistes, au début des années 1900, Mathurin Méheut s’intéresse au Japon et à son art qui adopte une nouvelle manière d’appréhender l’espace, avec des cadrages originaux, des points de vue décentrés etc. A l’image des maîtres nippons il adopte ces principes et va aussi vers une simplification du dessin, pour une vision épurée et synthétique de la nature.

les charbonniers

Bois gravé Les charbonniers 1913

Ce bois gravé est fortement empreint de culture nippone et s’inspire des estampes japonaises, avec la composition en grille, les lignes verticales des troncs d’arbres, le sujet coupé par le cadre, la séparation des plans valorisant l’effet de perspective.

1914 Voyage au Japon

Avec une bourse de la fondation Albert Kahn, mécène banquier qui a été saisi par la justesse de son œuvre, Mathurin Méheut et son épouse s’embarquent pour un tour du monde au début de 1914. Il passera 5 mois au Japon où il trouve la confirmation de ses choix iconographiques, telle la représentation de l’essentiel avec un minimum de moyens.

1914-1918 Les années de guerre

Mathurin Méheut interrompt son voyage au japon à la déclaration de guerre, il sera mobilisé en Octobre 1914, et ne sera démobilisé que le 2 Mars 1919. Après les 2 années de service militaire à St Lo en 1903 et 1904, cela fait long dans une vie.

Durant ces longues années de guerre, sa sensibilité et son admiration pour la beauté de la nature, la flore et la forêt, l’aideront à surmonter les épreuves. Méheut dessine beaucoup et sans cesse, on peut comprendre que le dessin devienne réflexe, devienne un geste spontané : des crocus jaunes pour une lettre à sa fille, la vesce commune, la splendeur d’un verger de pommiers où passent les troupes …

Étude de la Forêt

C’est un superbe recueil de 110 planches réparties en 2 tomes, publiés en 1927, en collaboration avec un botaniste, Lucien Plantefol (au nom prédestiné). Pour ces planches Mathurin Méheut va aller au devant du motif, son art est vraiment un art de plein air, la lumière du jour, celle du soleil lui sont indispensables. Installé à Barbizon, il parcourt la forêt de Fontainebleau. Il se rend aussi dans les Vosges.

Pour cet ouvrage, Mathurin Méheut propose sa vision de la nature fondée sur l’observation du réel, mais aussi sur les sensations qu’il a pu éprouver et les variations de la lumière au rythme des saisons et des floraisons. Il y a des fleurs et arbustes, tout simples, le liseron, la campanule, l’églantier, la bryone et le tamier, les sureaux etc. Son trait résume, synthétise la forme, le style se libère des contraintes.

ficaires et violettes

Les tapis floraux sont absolument superbes, les sous bois au Printemps, les clairières en Été, les rochers et sous-bois dorés des couleurs de l’Automne ou les paysages figés par l’Hiver, montrent, dans le choix des gammes chromatiques au fil des saisons, l’enthousiasme de Mathurin Méheut pour la nature, sa passion, son exaltation même. On a l’impression qu’il s’approprie la nature en capturant la lumière et les teintes.

Décors de boîtes Roger et Gallet

Sensiblement à la même époque que l’Étude de la Forêt, Mathurin Méheut réalise des décors de boîtes et flacons pour Roger et Gallet, pour la gamme Tentation créée vers 1925. C’est un décor de mousse de chêne pour le parfum Chypre Tentation ou d’œillet mignardise.

La Plante Exotique

Mathurin Méheut poursuit son œuvre naturaliste avec la publication en 1931, année de l’exposition coloniale à Paris, de La Plante Exotique, un portefeuille de 24 planches gravées en héliochromie, avec des plantes exotiques issues de diverses régions du globe. L’exotisme est à la mode depuis la fin du XIXème siècle et il y a un engouement pour l’acclimatation des plantes tropicales, accompagnant le regain de l’expansion coloniale. Pour préparer l’ouvrage, Mathurin Méheut s’inspire de son voyage au Japon et à Hawaï en 1914, et réalise des études sur la Riviera.

L’œil du peintre met en lumière les agaves, aloès, cactées, palmiers des différents continents et autres yuccas.

agaves et joubarbes

Agaves et joubarbes. C’est très simplifié mais très évocateur

Pour le figuier des pagodes ou Banyan, figuier étrangleur, arbre sacré pour les hindouistes et bouddhistes, Mathurin Méheut propose un dessin à partir d’un croquis réalisé à Hawaï.

En conclusion

Mathurin Méheut avait un œil et une main extraordinaire, avec une capacité à appréhender la réalité de la nature et en retranscrire la beauté. Son intérêt pour les plantes et les paysages aura finalement été une constante dans son œuvre. Dessinateur d’exception et fin coloriste, il a créé une esthétique nouvelle de peintre à la sensibilité naturaliste, qui sait concilier l’art et la science.. Au fil des ouvrages le dessin a gagné en puissance et en synthétisme et aussi en liberté d’expression artistique. Quelques traits et tout est dit, il donne forme et couleurs aux plantes et aux paysages ramenés à l’essentiel.

rédigé par Alain Le Hérissé

Amphithéatre de Kerplouz le dimanche 10 mars 2024