Conférence du 10 novembre 2024 par Yves-Marie Allain
Les camélias
Camellia ou camélia ?
Pourquoi en français deux orthographes ? Le nom scientifique, Camellia fut donné par Linné au milieu du XVIIIe siècle pour honorer un botaniste depuis longtemps décédé, Camellus ou Jiří Josef Camel né en 1661 en Moravie (République tchèque) et mort en 1706 à Manille aux Philippines. En français est adopté de nom sous la forme de camellia ou parfois de camelli. Il s’avère qu’un auteur français, Alexandre Dumas fils, va publier en 1848 un roman dont le titre est La Dame aux camélias, suivi d’une pièce de théâtre en 1852, interprétée par Sarah Bernhardt. Le succès de ses deux œuvres est tel que naît alors cette double orthographe. Les diverses encyclopédies de la langue française de la fin du XIXe siècle vont adopter la nouvelle orthographe faisant ou non référence à l’ancienne écriture de camellia. Parfois une remarque figure indiquant que camélia, est l’orthographe usuelle mais erronée de camellia. Dans le Larousse du XIXe siècle, il est précisé à Camellia qu’il s’agit de « l’orthographe très étymologique, puisque le nom de cette fleur vient de Camelli, nom propre, mais très vicieuse puisqu’elle est contraire à l’usage qui doit faire loi dans notre orthographe qui est bien la plus capricieuse de toutes les sciences. » Voilà pourquoi sera adopté en français l’orthographe de camélia, mais tout en conservant celle de Camellia pour désigner scientifiquement la plante.
La diversité des espèces botaniques de Camellia
Le nombre d’espèces botaniques connu actuellement est de l’ordre de 250. A la fin du XVIIIe siècle, il n’était que d’une quinzaine. Toutes ces espèces ont une origine assez groupée s’étendant de la Corée du sud jusqu’au Vietnam en passant par les îles du sud du Japon et surtout de la Chine qui contient 90% des espèces. Trois de ces espèces sont plus spécialement connues et surtout étaient utilisées et symbolisées dans les cultures chinoise et japonaise depuis de très nombreux siècles : Camellia sinensis, plus connu sous le nom de théier, (depuis quelques décennies des plantations de théiers existent en particulier en Bretagne), Camellia japonica, arbrisseau ornemental qui va dominer pendant près de deux siècles dans les serres et jardins occidentaux, Camellia oleifera, qui permet de produire une huile non comestible mais utilisée en cosmétique à partir des graines.
Introduction en Europe
L’introduction en Europe remonte aux années 1730, avec une première floraison en Angleterre en 1739. A partir de cette date, des plants sont distribués dans les principales cours princières européennes. Dans les années 1800, les camélias sont adoptés par l’aristocratie et la grande bourgeoisie européenne et celle de la côte Est d’Amérique du Nord. Du nord de l’Europe jusqu’en Italie et Portugal, cette plante en fleur agrémente et donne de la couleur aux salons durant la période hivernale. A compter des années 1850 jusque vers 1900, la fleur de camélia se porte à la boutonnière. La mode sera reprise en partie par Coco Chanel. Pour répondre à la demande de fleurs, des serres sont spécialement installées dans la région parisienne et nantaise afin de répondre à la demande. Le camélia est en particulier choisi car la fleur des C. japonica n’a pas de parfum et ainsi ne vient pas contrarier celui porté par les femmes ou les hommes.
Nantes et le camélia
Ferdinand Fabre (1779- 1867), industriel installé à Nantes, pense que le climat nantais devrait permettre à la plante de se développer en plein air et en pleine terre en toutes saisons sous réserve de sélectionner les sujets les plus résistants. Après avoir acquis des lots de graines en Angleterre, il sème et fort d’une bonne tenue durant la saison hivernale, le camélia est reconnu comme plante d’extérieur et de jardin. C’est alors que la région nantaise devient un centre important de sélections et d’hybridations. En 1857, la Société nantaise d’horticulture recense dans la cité plus de 250 000 camélias cultivés et une production annuelle de 60 000 plants ! Elle organise régulièrement durant la seconde moitié du XIXe siècle des expositions de camélias.
Internationalisation des passionnés et producteurs
Devant l’internationalisation des professionnels, des amateurs et passionnés du camélia, il devenait nécessaire d’harmoniser les connaissances et en particulier, les noms des milliers d’hybrides en circulation. Un Australien Eben Gowrie Waterhouse (1881- 1977) prend l’initiative de créer en 1962 l’International Camellia Society (ICS). Forte de plus de 1 500 adhérents, les membres sont regroupés par pays, eux-mêmes réunis en grandes régions géographiques. Un congrès international se tient tous les deux ans. En 2018, la France a été retenue pour recevoir le congrès qui s’est déroulé à Nantes. Parmi les objectifs que s’est fixée cette association, celui de tenir à jour le registre des noms des variétés et hybrides de camélias. Sont répertoriés « plus de 24 000 variétés cultivées ainsi que 25 000 synonymes associés. » On y trouve les noms et les descriptions plus ou moins étoffées de plus de 35 000 variétés et cultivars du genre Camellia. L’une des grandes confirmations de ce recensement est que la majorité des hybrides ornementaux a été obtenue en premier lieu à partir de Camellia japonica, mais également de Camellia sasanqua, C. saluenensis, C. reticulata et de quelques autres espèces.
Si l’International Camellia Society est très investie dans la connaissance et la sauvegarde des camélias cultivés par l’homme et dispersés sur tous les continents dans les parcs et jardins, il n’en est pas de même pour des Camellia dans leur milieu naturel. Une évaluation mondiale des végétaux ligneux a été lancée en 2015. Cette initiative est coordonnée par Botanic Gardens Conservation International (BGCI) qui regroupe la quasi totalité des jardins botaniques du monde, et le groupe de spécialistes des arbres de la Commission de sauvegarde des espèces de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Les premiers résultats publiées en septembre 2021, montrent une situation alarmante pour le genre Camellia avec 45 % des espèces botaniques menacées d’extinction à l’état naturel. Les menaces qui pèsent sur les camélias dans leur milieu naturel, sont liées à une série de facteurs comme la surexploitation des ressources, la déforestation, l’expansion agricole et urbaine, le changement climatique, l’apparition de parasites ou de maladies.
Camellia face à son avenir
Rares sont les plantes ligneuses qui peuvent se prévaloir d’une telle diffusion mondiale et d’une popularité aussi universelle et ce, grâce à deux approches de ses qualités intrinsèques, l’une à caractère industriel, l’autre ornemental et esthétique avec un renouveau depuis la découverte et la diffusion de nouvelles espèces dont celles à fleurs jaunes, odorante ou fleurissant durant la période estivale. Si la culture du théier est possible sous de nombreuses latitudes et s’installe dans de nombreux pays des divers continents, la naturalisation très loin de leurs régions d’origine de certaines espèces comme Camellia japonica montre leur grande capacité à conquérir de nouveaux territoires, à s’intégrer dans des habitats qui leur étaient inconnus. Cette faculté naturelle, spontanée d’adaptation de certaines espèces de camélia ne permet pas d’en conclure que l’ensemble des plus de 200 espèces botaniques ont les mêmes facilités.
L’avenir du camélia se pose à deux niveaux, celui des espèces botaniques et leurs habitats initiaux, celui des milliers de variétés et de cultivars obtenues depuis plus des millénaires en Extrême-Orient et plus de deux siècles sur les autres continents.
Face aux multiples défis aussi bien pour les professionnels, les collectionneurs que pour les plantes elles-mêmes, l’une des premières questions est celle de l’état actuel des connaissances scientifiques, biologiques, physiologiques, sur le degré de parenté des diverses espèces. Bien des recherches restent à entreprendre pour mieux connaître et sauvegarder à terme la diversité de Camellia.
Yves-Marie ALLAIN, Camélia, un destin universel, Locus Solus, Châteaulin, 2023.