Conférence du 10 février 2019
Le jardin du Moyen Age était composé d’un espace clos et plan, sans animation ni variété. Le jardin de la Renaissance est issu d’un bouleversement de la conception de l’homme et par suite de son environnement. Au milieu du XVe siècle en Italie, naît la pensée humaniste. Cette philosophie replace l’Homme au centre de l’univers. L’Homme reste soumis à Dieu, mais peut s’améliorer par le savoir. Il peut dès l’ores appréhender son environnement et le construire afin d’enrichir sa pensée.
Le XVème siècle italien est florissant. A Sienne, à Rome, à Florence, à Ferrare, s’illustrent de grandes familles : les Borghèse, les Colonna, les Médicis, les Este qui allient la richesse au goût des belles choses.
Les théoriciens du jardin de la Renaissance
La Toscane en particulier connaît une période de prospérité sans précédent. Palais, villas, parcs et jardins se multiplient : en 1472, on compte déjà 5.600 villas parmi les collines de Toscane.
Léon Battista Alberti (1404-1472) est le précurseur de ce nouveau courant. Ecrivain, philosophe, peintre, mathématicien, architecte, théoricien de la peinture et de la sculpture, humaniste italien, Alberti joue un rôle essentiel dans le développent de la conception du nouveau jardin de la Renaissance. En 1452, il publie son ouvrage majeur : De re aedificatoria qui introduit le principe essentiel du jardin de la Renaissance : le jardin et la demeure doivent être traités comme un tout. Le jardin n’est pas seulement un élément constitutif de la demeure, il doit également se nourrir du paysage qui l’environne et s’harmoniser avec lui. La nature sauvage n’est donc plus un ennemi, c’est un facteur de stabilité de l’Homme dans son univers.
Alberti va toutefois préconiser de conserver un jardin clos afin de se protéger des intrus. Néanmoins, il conviendra de rendre cette clôture la moins visible possible, des vergers seront plantés et tout autour de beaux portiques seront installés. Les allées seront bordées de végétaux à feuillage persistant et sur le côté le mieux abrité, une haie de buis sera plantée. Alberti conseille de tailler le buis de façon variée comme le faisaient les jardiniers de l’antiquité, de leur faire prendre la forme des lettres de l’alphabet pour composer le nom du jardinier ou du propriétaire.
Les principes d’Alberti, selon lesquelles une villa doit se situer au flanc d’une montagne à proximité d’une ville et offrir ses murs à la lumière et au soleil, ont été mis en pratique pour la première fois à la villa des Médicis à Fiesole, près de Florence.
Pirro Ligorio est le concepteur de l’un des plus grands chefs d’œuvres de la Renaissance : la Villa D’Este. Construite à la demande du cardinal Hyppolyte II d’Este, la villa et son jardin sont bâtis selon les principes d’Alberti. Le chantier s’ouvre en 1550 et se termine trente ans plus tard. Pour la réalisation des travaux, l’architecte doit cependant résoudre d’importantes difficultés : tout un quartier de Tivoli sera rasé afin de permettre la création d’un jardin vaste et régulier, et d’importantes fondations seront nécessaires pour asseoir une grande partie du jardin. La composition est soumise à une allée centrale qui traverse plusieurs niveaux, impose une unité d’ensemble, et aboutit au palais. Elle rencontre la fontaine des dragons encadrée de deux escaliers en spirale dont les balustrades canalisent un étroit ruisseau qui coule dans les rampes. A l’avant-plan, deux pergolas, disposées en croix, forment quatre carrés égaux. Des petits pavillons, placés au centre de ceux-ci, invitent à contempler les parterres de fleurs ou d’herbes aromatiques. Quatre labyrinthes les encadrent.
L’eau est prépondérante à la villa d’Este. Fournie en abondance, elle provient d’un aqueduc et d’une canalisation qui détourne le courant de la rivière Aniene. Les travaux hydrauliques sont complétés en 1565 et permettent d’approvisionner les nombreuses fontaines du jardin au rythme de mille deux cents litres d’eau par minute. L’eau cascadant, gazouillant, éclaboussant produit une variété de sons, créant ainsi un effet d’orchestre aquatique.
Comment reconnaître un jardin de la Renaissance ?
Durant la Renaissance en Italie, les architectes de jardin vont rechercher une animation en choisissant de priser d’avantage les terrains de pentes accidentés permettant les jeux de vues. Le terrain doit aussi autoriser une vue qui s’ouvre sur la campagne environnante.
Les architectes de la Renaissance s’appuient sur un élément déjà présent dans le paysage rural du XVe siècle italien : la terrasse. Côté jardin, les villas furent précédées de cet élément, et le jardin lui-même fut organisé en de grands paliers, dont le plus bas était porté par un haut mur de soutènement qui tranchait nettement sur le paysage environnant. Ces terrassements devenaient de véritables constructions qui n’étaient pas sans rappeler les célèbres jardins de la légendaire Sémiramis. De tels jardins en terrasses furent d’ailleurs appelés par analogie « giardini pensili » (jardins suspendus). Le jardin ainsi surélevé par rapport au sol naturel.
L’escalier monumental est une deuxième innovation du jardin de la Renaissance. C’est Donato Bramante (1444- 1514) qui eut l’idée d’un moyen stylistique simple pour résoudre les problèmes soulevés par l’aménagement du jardin de forte pente. Cet élément était jusque-là réservé à l’architecture.
Autre élément de structuration du jardin et non des moindres : le parterre. Parmi les éléments constituant les jardins de la Renaissance, c’est le parterre (composition géométrique de plates-bandes généralement cernées de buis) qui répond le plus à des critères formels décoratifs. Ces arrangements sont si frappants qu’on les considère volontiers, dès le premier coup d’œil, comme la principale caractéristique du jardin italien. Dans sa forme la plus fréquente, le parterre est divisé en quatre compartiments égaux et comporte en son centre une fontaine, un bassin ou même un pavillon. Cette disposition est à la base même du principe du jardin, et on le retrouve aussi bien dans les abbayes du Moyen Age que dans les villas à péristyle de la Rome antique. A la Renaissance, le cadre s’élargit, la forme s’affine, les plates-bandes sont plusieurs fois répétées, les buissons sont taillés en formes géométriques (sphères, cônes, parallélépipède,…) pour créer un savant relief de verdure.
Ensuite le labyrinthe apparait à la fin du XVIème siècle avec les jardins de la villa d’Este notamment. Allusion évidente à la mythologie de l’Antiquité, le labyrinthe du jardin de la Renaissance représente la concrétisation d’un mythe, celui des errances de l’esprit avant d’accéder à la Connaissance.
Enfin, la pergola est un élément précieux de l’architecture des « jardins italiens ». On le trouve déjà dans l’œuvre de Boccace et aussi dans le Songe de Poliphile, où elle recouvre d’une voûte de verdure tout le réseau de chemins ; donnant ainsi lieu à des jeux de volumes nouvellement introduits dans le jardin. Les pergolas définissent à la fois un espace extérieur et un volume intérieur, protégé mais aéré et bénéficiant d’une ombre agréable et fraîche. Suivant la saison, il est en outre empli de l’intense parfum des fleurs ou orné de fruits mûrs.
Quant au répertoire décoratif, le jardin de la Renaissance privilégie la statuaire, l’eau, la grotte et le bosquet.