Denis et Eugène Bühler, créateurs de parcs et jardins.

CR Conférences

Sophie LE BERRE – Conférence du 12 novembre 2023

« Denis et Eugène Bühler, créateurs de parcs et jardins »

Consultante/Guide-conférencière dans le domaine du patrimoine végétal

Doctorante en japonais, Université Paris Cité (CRCAO)

Les fils de la famille Bühler, Denis et Eugène, ont créé une centaine de jardins en France, dont beaucoup sont publics. Sophie Le Berre nous décrit leurs parcours.

conference auray nov 2023 fratrie bühler
conference auray nov 2023 cartographie bretagne
conference auray nov 2023 plan du jardin des prébendes de tours 1871

Le fil conducteur de cette conférence a été le magnifique travail de recherche, réalisé par Louis Michel Nourry, professeur d’histoire-géographie et spécialiste des jardins – malheureusement disparu en 2022- en citant quelques-unes des phrases-clés rédigées dans son ouvrage intitulé Le Thabor, Renaissance d’un patrimoine rennais, paru en 2013 aux Éditions Apogée1.

Les frères Denis et Eugène Bühler ont marqué leur empreinte sur la composition des parcs et jardins de la seconde moitié du XIXe siècle, mais qui s’en souvient aujourd’hui ? Quelques informations, rares, circulent sur leur vie, notamment sur Internet, et certaines d’entre elles sont fausses, d’où la nécessité de retourner à la source et de vérifier les informations autant que possible. D’après les recherches de Louis Michel Nourry, la famille Bühler, de confession protestante, quitte la France au moment de la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) et s’installe à Lahr, dans le pays de Bade-Wurtemberg, de l’autre côté de la frontière, en Allemagne. Après la Révolution française, le père de Denis et Eugène, Jean Daniel, botaniste de métier, d’après son acte de mariage, décide de retourner en France et s’établit à Clamart, en région parisienne. Il se marie à Marguerite Gogue, originaire de Clamart, et de cette union naissent sept enfants, dont Denis, l’aîné (1811-1890) et Eugène (1822-1907), le cadet. L’oncle de Denis et Eugène, Denis Gogue, devient maire de Clamart en 1831 et ouvre une première ère de modernisation de la ville, suivie, en 1840, par la création de la ligne de chemin de fer Paris-Versailles, reliant Clamart à Paris. Cette ligne sera poursuivie jusqu’à Brest en 1865, ce qui n’est pas dénué d’intérêt compte tenu du fait que les premiers clients de Denis et Eugène Bühler étaient installés en Bretagne. Après Clamart, la fratrie Bühler se fixe dans une vaste propriété située au 147 rue de Grenelle à Paris, composée de deux pavillons de style alsacien, de deux serres et d’une pépinière. Il semble que leur première commande ait eu lieu au château de Kernévez, à Saint-Pol-de-Léon (Finistère) pour la famille de Guébriant, qui décide de refaire le parc ; les plans des frères Bühler sont datés de 1845. En cartographiant les parcs et jardins, privés et publics, dessinés par Denis et Eugène Bühler, il est aisé de constater qu’ils jouissaient tous deux d’une gloire considérable en Bretagne. Leur père ayant été botaniste, les deux frères ont une connaissance certaine des végétaux et contribuent largement à la vulgarisation des espèces récemment introduites en France en les implantant dans les parcs et jardins qu’ils créent : c’est notamment le cas du séquoia géant (Sequoiadendron giganteum), du cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica), du citronnier épineux (Citrus trifoliata), du tulipier de Virginie (Liriodendron tulipifera), du cyprès chauve (Taxodium distichum), du Magnolia grandiflora, etc. Les plantations des Bühler sont conçues d’une manière simple et large : en bosquets, les arbres servent à encadrer des perspectives, isolés, ils attirent le regard pour leur intérêt botanique. Quant aux allées, toujours spacieuses, elles sont dessinées à courbes très douces, avec une attention particulière accordée à l’allée d’accès. L’étude des plans, réalisés par les Bühler, n’est pas sans nous rappeler les tracés du paysagiste français Gabriel Thouin (1754-1829) tels qu’ils figurent dans son ouvrage Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins (Paris, 1820) et il paraît évident que Denis et Eugène Bühler s’inspirèrent largement des idées directrices de Gabriel Thouin.

conference auray nov 2023 kiosque à musique jardin des prébendes de tours
jardin buhler
Église protestante luthérienne saint jean, 147 rue de grenelle

L’architecture des bosquets, la disposition des buissons, les amas de plantes exotiques constituent les principaux tableaux des frères Bühler ; quant à la mosaïculture, elle expose le cycle des saisons. Car c’est alors la mode de la mosaïculture, cet art, ce genre d’ornementation, ce procédé, cette manière qui consistent à disposer des végétaux en des figures géométriques ou de fantaisie dans des corbeilles, des plates-bandes ou des bordures. La mosaïculture devient vite un exercice de style par lequel les jardiniers obtiennent une reconnaissance de leur fonction ; de l’entretien des pelouses et des plantations, ils passent à un travail de décorateur, de technicien horticole. L’acier, le fer, la fonte et leurs nouvelles techniques de fabrication trouvent dans les parcs et jardins un champ d’expérimentation en même temps qu’un espace qui les fait connaître : il en est ainsi des grilles, des serres et des kiosques à musique.

La conquête de l’eau, fierté de la ville haussmannienne, est bien représentée dans les jardins des frères Bühler : l’eau courante, luxe inconnu avant le Second Empire, est désormais apportée et distribuée aux citadins ; c’est ainsi que le parcours de l’eau, dans les jardins, d’une cascade jusqu’à un bassin, peut évoquer l’adduction et l’évacuation de l’eau urbaine.

Denis et Eugène Bühler travaillent pour l’élite politique, pour les grands noms de la finance et les notables locaux, qui se dotent d’un parc ou d’un jardin à l’image des créations parisiennes.

Les Bühler sont morts sans héritier : le testament de Denis témoigne de l’immense réussite des deux frères dans le monde des affaires. Denis Bühler lègue la propriété familiale du 147 rue de Grenelle à Paris, avec sa maison d’habitation et 300 000 francs de l’époque au Consistoire luthérien de Paris, afin d’y bâtir une église protestante de style gothique. Au décès de son frère cadet Eugène, dernier usufruitier, en 1907, le Conseil presbytéral prend possession de la propriété, y fait bâtir une église selon les demandes de Denis Bühler et l’église luthérienne Saint-Jean est inaugurée officiellement le dimanche 26 février 1911 par une belle journée ensoleillée.

1 Texte Louis Michel Nourry, aquarelles Francine Lieury, ISBN 978-2-84398-446-4.

Si vous souhaitez en savoir plus sur Sophie Le Berre et son activité de guide conférencière :  www.sophieleberre.fr et www.jardinsdeloire.com.